Entrevue avec Alexis Eisenberg, fondateur et directeur général de Poly-Mer, sur la lutte aux microplastiques dans le Saint-Laurent
Alors que plus de 300 millions de tonnes sont produites par l’industrie du plastique chaque année pour répondre à une demande mondiale en croissance, 8.8 millions de tonnes se retrouvent dans les eaux et les océans de la planète. Ceci représente 3 camions de déchets plastiques qui se déversent chaque minute pendant une année. Les pays industrialisés, comme le Canada, font partie du problème et doivent faire partie de la solution.
Les océans sont pollués par les déchets, tels que des bouteilles, bouées, filets et autres contenants et produits (90 % sont en plastique). Ces plastiques étranglent des mammifères marins, s’accumulent dans le système digestif de millions d’oiseaux et ne font que se fragmenter encore et encore tout en continuant d’impacter le monde du vivant sous forme de « microplastiques ». Ces toutes petites particules, inférieures à 5 millimètres, sont estimées à plus de 5 milliards de milliards de particules dans l’environnement. Celles-ci ont tendance à accumuler des agents toxiques (métaux lourds, PCB, DDT) tout en remontant le long de la chaîne alimentaire, potentiellement jusqu’à nos assiettes. C’est ce que des scientifiques du monde entier sont actuellement en train de démontrer (huîtres, moules, poissons, sel de mer…), de la poubelle à la table.
On retrouve malheureusement cette forme de pollution au niveau du Saint-Laurent. Des publications scientifiques des dernières années pour les Grands Lacs et des balades le long du Saint-Laurent le confirment : du plastique il y en a partout et en importante quantité !
Des études depuis 2012 démontrent de fortes concentrations de microplastiques dans les Grands Lacs (39 morceaux de plastiques retrouvés pour 100g de sable, Dean et al.,2016). La présence de plastique a été retrouvée dans les sédiments du Saint-Laurent à travers une étude conduite par l’université McGill en 2014 : plusieurs milliers de particules par mètre cube de sédiment, soit une concentration largement supérieure à celles des sédiments marins que l’on retrouve dans les secteurs les plus contaminés du monde. Toutefois, le Saint-Laurent reste encore sous-étudié sur cette question avec trop peu de données, pourtant nécessaires pour remonter à la source de cette pollution et mettre en place de mesures de mitigation.
En 2018, le Canada appliquera la Loi sur le bannissement des microbilles de plastiques dans les cosmétiques, premier grand pas soutenu par l’Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent et faisant l’objet d’une Loi similaire aux États-Unis. Il faut poursuivre, car les microplastiques sont très présents dans notre quotidien ainsi que dans certains procédés industriels et leur utilisation est en croissance : granules industrielles (« larmes de sirènes »), fibres de vêtements (ex. : polyester), microbilles utilisées dans les produits abrasifs, dégradation de macroplastiques (bouteilles, sacs, etc.).
POLY-MER vise à engager les citoyens, les collectivités, les gouvernements autour de l’enjeu des plastiques à usage unique et des microplastiques au Canada. L’organisme développe des projets d’intelligence collective avec l’ensemble des parties prenantes par la création et le partage de nouvelles connaissances entourant l’enjeu des microplastiques. Nous ciblons le Saint-Laurent comme zone d’intérêt privilégié puisqu’il est constaté mondialement que les grands fleuves représentent le point de jonction le plus important entre la pollution anthropique et celles des océans. De plus, le bassin versant des Grands Lacs et du Saint-Laurent est la plus grande source d’eau douce de surface au monde (21 %) et représente la source d’eau potable pour plus de 40 millions de personnes.
Notre approche se veut intégrative et collaborative en reliant les communautés nautiques du Saint-Laurent (kayak, canot, voile, moteur à faible vitesse), à celle des municipalités et leurs marinas, à celle des scientifiques ainsi que des autorités gouvernementales. Nous avons deux principaux projets :
Nous avons eu l’opportunité de présenter l’an passé notre projet au concours Aquahacking organisé par la Fondation de Gaspé Beaubien et depuis nous l’avons présenté à Environnement Canada ainsi qu’à la Table de concertation régionale du Haut Saint-Laurent. Nous sommes moralement supportés par l’Alliance des villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent ainsi que par l’Association Maritime du Québec. Notre objectif est de réaliser à l’été 2018 la phase pilote, notamment avec la ville de Beauharnois qui s’est jointe au projet, pour récolter nos premiers échantillons.
Nous sommes activement à la recherche d'aide financière et de nouveaux partenaires. Ce soutien peut également être sous forme de partage de ressources en communication, web design, génie mécanique, développeur web, bref… nous sommes ouverts aux propositions et assurément enthousiastes à partager le succès de nos projets.
Pour atteindre nos objectifs, nous devrons mobiliser les parties prenantes autour du projet et bâtir la communauté POLY-MER. Premièrement, nous avons des connaissances et des données à aller chercher. Deuxièmement, nous avons un travail d’analyse afin de localiser les zones d’accumulations, comprendre la dynamique et caractériser ces plastiques en collaboration avec des chercheurs. Alors, nous pourrons commencer à travailler nos hypothèses concernant les principales sources potentielles et présenter ces travaux aux autorités compétentes, de la municipalité au gouvernement fédéral.
Les microplastiques sont à l’eau ce que les GES sont à l’air, une pollution non visible, diffuse et sans aucune frontière. Il est plus que temps d’agir.